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marie le franc

Pendant ce temps, celle à qui il ne restait qu’une moitié de nom devenait une image de plus en plus complète. J’avais été dix ans sans songer à elle, et il y a cinq minutes encore elle n’existait pas. Mais à présent il n’y avait plus qu’elle dans mon cerveau.

Je la revoyais telle qu’elle m’était apparue pour la première fois quand, jeune fille, elle habitait la maison de son père, située de l’autre côté de la rue, une vieille demeure grise comme un bastion qui surveillait la colline. Vêtue d’une robe claire, les épaules enveloppées d’une longue écharpe de tulle, nu-tête, elle avait traversé le petit jardin du côté de la sortie des domestiques, et s’appuyait à la barrière décolorée surmontée d’un arceau où plus tard fleuriraient des roses. Pour le moment, la seule rose, c’était elle, avec sa tête aux éclatants cheveux roux et son long corps flexible. Ses yeux étaient rieurs et chauds, bruns sous les cils plus pâles. On les discernait tout d’un coup ainsi qu’on remarque, en marchant sur les feuilles mortes, des châtaignes luisantes au fond de leur bogue à demi ouverte.

Elle me parlait en se penchant un peu. On sentait qu’elle n’était là que par accident, devançant le printemps dans la rue. Elle était sortie vivement de la maison en souliers fragiles qui s’enfonçaient