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visages de montréal

par l’herbe qui poudroie sous la lumière bleue. On touche les odeurs, on caresse le silence. Toute la ville est partie en congé emportant avec elle ses maisons et ses autos. Ces deux-là sont restées. Elles respirent comme sur le seuil d’une porte. Jeannine a relevé sa voilette jusqu’au-dessus du trait carminé de sa bouche. Les yeux gris-vert se ferment à moitié dans le visage couleur de sable doré. Ah ! qu’on est bien ! Si cela pouvait durer… Rester ainsi sans faire un mouvement, sans savoir où l’on se trouve…

— Jeannine-douce, que ne demandez-vous le divorce ?

Jeannine revient à elle. C’est vrai, il était question de Théo il y a quelques minutes, — que cela paraît loin ! — Théo qui s’est fait encore une fois dresser procès-verbal pour excès de vitesse et a été arrêté faute de pouvoir payer l’amende. Jeannine n’a pas voulu intervenir. Elle a dit d’un ton excédé : « Qu’il se débrouille ! » Au fond, elle est inquiète.

— Le divorce ? Mais Théo a besoin de moi ! Il serait très malheureux. Il est très gentil, vous savez, dans ses bons moments. Nous avons fait un mariage d’amour. Et puis, que diraient la famille, le Tout-Lille, l’oncle défense-de-Verdun, la tante qui-donna-son-château-à-la-Croix-Rouge-pendant-la-guerre ! Et maman, cela la briserait, maman.