Page:Le Franc - Visages de Montréal, 1934.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
marie le franc

les bras une lingère phtisique, un marquis dans la dèche, un artiste sur le pavé, un prince russe authentique ou non, quelque rescapé du couvent, de l’hôpital ou de la prison. Elle vous colle une femme de ménage en trois phrases au téléphone. On l’a entendue interpeller en plein salon, de sa voix sonore et ingénue, un bachelor : « Dites donc, Fred, vous n’avez pas de petite amie à qui vous voudriez offrir des chemises brodées ? J’en ai à vendre ». Elle est allée trouver le professeur de B. — le professeur baise-main — chef du département français à la fameuse Université du Prince of Wales. Le cours de français aux étudiants étrangers va s’ouvrir ; Jeannine a appris qu’au dernier moment Monsieur Rougerat, qui avait promis une histoire de l’art, décide d’aller dessiner des bonnes femmes en mérinos à Ouessant, qui se vendront au poids de l’or à New York. Cela tombe bien : elle a à placer un peintre échoué à Québec à la suite de l’exhibition des artistes russes. Le pauvre diable crève de faim, quoiqu’il abrite sous le divan de son studio une assiette de petits gâteaux destinés aux clientes en perspective. Jeannine se fait introduire dans le bureau du professeur de B. Elle a ses manières les plus exquises, son sourire le plus ensorceleur, ses mains parfumées. Le professeur de B. a fait la guerre à Verdun. Jeannine place négligemment dans la conversation le nom de son oncle le gé-