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marie le franc

jetés en arrière, mais prompts au moindre mouvement à se rabattre de chaque côté du visage, à la façon d’oreilles d’épagneul. La nécessité de remettre en place des deux mains les longues mèches pendantes lui donnait un air de rébellion un peu sauvage, et je m’aperçus que son nez busquait légèrement dans son visage olivâtre et que l’air tout à fait caractéristique d’absence et de fierté agressive qu’il portait d’ordinaire devait avoir pour origine un sang indien largement métissé de blanc.

Je connaissais son nom : celui d’un poète aux longues foulées qui prenait le continent Amérique, d’un océan à l’autre, pour son canton. Un poète baigné de mer. Il nageait dans son œuvre, tirait de l’arc, visait les étoiles, peignait des statues grandes et barbares comme des totems.

Nous allions ! La nature nous attendait au passage et venait s’encadrer dans les lunettes latérales de notre nacelle. Et tout cela était pour nous seuls. Nous étions partis avec des sens neufs pour en jouir. Jamais auparavant nous n’avions respiré, humé, violé du regard les mystères. De grands lambeaux de beauté s’accrochaient à nous à mesure que nous avancions. Inutile de refuser ce qui s’offrait : il y avait toujours de la place dans le cœur serré de Widgeon. Nous sentions nous presser sur les côtes le pouls accéléré des mon-