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marie le franc

soucis. Jeannine a terriblement envie de retirer sa main, mais les yeux qui la regardent sont si bons et si tristes. Les autres leçons deviennent un monologue où le professeur raconte sa vie et fait part avec des soupirs éloquents des aspirations de son âme. Jeannine ne sait plus comment s’en tirer.

Un jour, l’Institut a un aspect inaccoutumé. L’escalier ne sent plus la friture. Un écriteau imprimé est accroché de travers sur la porte de la salle de cours : « Back in five minutes ». Au lieu de cinq minutes, le professeur devait être absent cinq années, à cause d’une histoire de petites filles.

Jeannine n’est pas horrifiée. Elle murmure : « Le pauv’ vieux ! » Ce qui lui est désagréable est la sensation qu’elle garde d’une main pas très propre, posée sur sa main.


Elle échappe aux salles de thé, dans un pays où les salles de thé servent de bornes à l’existence des femmes. Elle évite les réunions mondaines. Mais qu’un bachelor de ses amis, qui revient très éveillé d’une énervante soirée de jazz-band et de whisky, passe dans sa rue et sonne à sa porte en voyant de la lumière, la voilà ravie de le recevoir et d’apprendre tous les détails de la soirée. Que d’un studio d’artiste, renommé pour de pittoresques réunions, lui arrive, autour de minuit, un coup de téléphone demandant sa présence, elle n’hésite pas : en