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visages de montréal

hanches, pour retomber en place avec la forme et le volume voulus, tira la portière qui claqua au nez de la rue méprisable, et nous bondîmes, trois esprits purs, trois corps fraternels enfermés dans une sorte de stratosphère au ras du sol.

J’étais là entre deux êtres inconnus, enivrée de félicité à nous sentir si pareils. Widgeon se faufila hors de la ville par des chemins familiers à elle seule, et bientôt elle porta au bord de sa calotte une frange de ciel bleu qui venait tremper jusque dans nos regards, et à chaque portière, des arbres verts en parenthèse nous fermèrent le monde.

C’est de profil aussi que je voyais Cavelier. Il avait un visage de sous-bois, je veux dire de la couleur que revêtent les créatures peu visitées du soleil et qu’on croirait ne voir que par transparence, les feuilles prises à revers, montrant mieux ainsi leur ligne de tête et leur ligne de vie, les pierres qui s’oublient à rêver là depuis des siècles. Sa barbe rasée couvrait d’une ombre bleue ses joues et un menton avancé en un cap lumineux, non point fait pour reposer sur les choses, mais pour pivoter au centre d’un univers et en capter les plus furtives apparences. La bouche était grave, mobile et enfantine, les joues longues, le front haut qu’encadraient les cheveux lisses re-