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rôle dans sa vie. Sa religion ne ressemble à aucune autre. Elle ne prie pas. Sa prière consiste à se taire. Elle ferme les yeux. Qu’on est bien, seule avec Dieu. Comme il comprend. Il n’y a pas besoin d’expliquer. Les soucis journaliers ont cessé de se réciter en vous comme une table de multiplication. On redevient une page blanche, une atmosphère, une essence, des éléments qui se sont dissous. Jeannine apporte à noyer sa personnalité le même souci que d’autres ont de la mettre en relief. Prier, c’est formuler un désir, une demande. La félicité suprême consiste pour elle à ne rien souhaiter. L’église crée autour de son âme l’atmosphère ouatée de Hill-Park aux jours de neige. Elle se livre à elle, emportée à l’aveugle, les sens fondus en un seul, dont le rôle est si écrasant qu’au lieu de servir il règne, qu’on n’ose le borner. On n’est plus qu’une forme inerte. Dieu entend, ressent à votre place, devient responsable. Qu’il se tire d’affaire !

Au retour de l’église, elle fait une promenade dans le campus. Elle remonte lentement à la vie. Elle a l’impression de s’être levée à une heure extraordinaire. Elle découvre aux arbres une verdure nouvelle. Elle regarde avec bienveillance les dames qui promènent leur chien.

Aujourd’hui, il faut qu’elle se hâte. Elle a un nouveau brosseur depuis que Julien est à la maison de santé pour une crise. C’est la seconde fois