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visages de montréal

affectionne conduisent à ceux du cœur. Elle est tout en langage fin, en sentiments délicats, en compréhension. Rênes lâches, pensées flottantes, muscles détendus, oreille attentive, cavaliers et montures se laissent aller au bercement. Du bout de sa cravache, elle lisse d’un geste rêveur la crinière en frange de sa bête. À pied, elle découragerait d’un sarcasme involontaire les confidences. À cheval, son visage pâle se découpe de profil sur la sombre verdure et elle penche un peu la tête de côté comme un confesseur.

Hélas ! voici les portes de Hill-Park. Jeannine est silencieuse. Elle songe à sa vie manquée, elle étend la main, la pose un instant sur le genou de son compagnon. Ils vont au pas, se frôlant de l’épaule. L’ombre des derniers feuillages les enveloppe. « Ah ! soupire Jeannine, de sa voix devenue lointaine, si l’on pouvait continuer ainsi… » Et puis, reprenant à deux mains les rênes et cognant du talon les flancs de son cheval : « Get up ! Betsy ! »

En hiver, quand le Fahrenheit descend à 20° au-dessous de zéro, elle traverse au trot la ville feutrée. Par-dessus ses bottes, elle a gardé ses overshoes. Son passe-montagne est bien tiré sur ses oreilles, son cou dégagé comme en avril dans la cravate blanche, et tandis que les visages des buveuses de thé qui entrent au Ritz apparaissent