Pourtant, il avait fait des progrès. Les actes d’une autre existence, sinon ceux de la sienne propre, commençaient à s’enchaîner, à prendre un sens. De temps en temps, il les pressentait, et elle était surprise qu’il vînt au-devant de ses gestes. C’était comme s’il ouvrait une porte, tout à coup, avant qu’elle n’eût exprimé son intention de sortir, et il attendait qu’elle passât, la tête un peu inclinée, baignée d’une demi-lumière, avec au fond de ses yeux le contentement d’avoir lu dans sa pensée.
Il avait maintenant un certain vocabulaire à sa disposition. Il était relatif au temps, à la mer, à l’horizon brumeux où son âme semblait vivre, et parfois à un monde plus vague encore où elle le suivait à peine. Il nommait les objets qui les entouraient, les travaux qu’ils exécutaient en commun, les mouvements d’Ève. Il proposait d’aller chercher du bois au bûcher et de l’eau à la citerne. Et ayant parlé, tous les deux écoutaient d’un air recueilli vibrer entre les murs l’écho des paroles qu’il venait d’assembler. Une simple phrase était un triomphe. Il la prononçait en s’appliquant, équilibrait sa voix sur chaque mot comme on franchit pas à pas, en se balançant un peu, une planche jetée sur une nappe d’eau inconnue. Il trouvait un point d’appui dans