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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

Ève, qui avait mis un couvert en face du sien, vint à lui, prit de ses mains son béret. Il leva vers elle une face hésitante, un peu anxieuse, et rassuré par son sourire, il s’assit à table.

Bien qu’il fût évidemment affamé, il attendait, le regard attaché à ses gestes qu’il s’efforçait d’imiter. La façon dont elle avalait son potage lui causa de l’étonnement. Il porta sa cuillère à sa bouche avec précaution, referma les lèvres, retint son souffle. Et puis, ce fut au fond de la gorge un bruit d’écluse soudain lâchée, ce qui la fit éclater de rire. L’homme surnaturel rit à son tour, de ses larges yeux, de ses fortes lèvres ouvertes sur ses dents brillantes. Mais sa gaîté tomba vite : il se remit à s’ap­pliquer. Elle lui offrait les mets en les nom­mant, à demi-voix, et il se penchait légèrement vers elle, l’oreille tendue, son attention mas­sée en ombres combatives au fond de son regard. On eût dit que sa bouche, déshabituée des paroles humaines, s’efforçait de se plier de nouveau à leurs contours, et répétait en échos balbutiés, les dernières syllabes.

Le repas achevé, elle ouvrit la porte. Elle, qui avait vécu dans les villes, n’était pas encore accoutumée à avoir la nature si proche. C’était une créature vivante sur le seuil. Il fallait tendre la main, ébaucher