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GRAND-LOUIS L’INNOCENT

une zone chaude, et qu’il n’aurait pu ana­lyser : la certitude d’une présence autour de soi, d’une vie à laquelle on mêlait la sienne et qui vous faisait tout d’un coup lever la tête, vers la vision du fauteuil au haut dossier, dans une sorte d’éblouissement, et balbutier on ne savait quoi où l’on confon­dait les noms d’Ève et de la reine Anne.

Elle devinait sa pensée rien qu’à un regard prolongé qu’il laissait peser sur elle, à une légère inclination de la tête, à un plissement du front bombé, à un mouvement des doigts expressifs.

Les premiers temps, elle lui parlait beau­coup, l’interrogeait, faisait les demandes et les réponses. Un jour elle se rendit compte avec stupeur qu’elle était devenue presque aussi peu loquace que lui. Ils étaient les deux muets de la lande. Alors, prise de peur, elle criait son nom, poussait des exclamations sans cause, chantait à tue-tête, essayait d’ébranler la haute charpente mas­sive. Il laissait passer le fracas, un sourire flottant sur ses lèvres.

Ils se parlaient surtout des yeux. À défaut d’autres joies, celle-là leur était donnée. Ils se regardaient sans lassitude, sans détour et sans crainte, sans désir de dérober tout à coup leurs pensées sous l’écran des paupières. Ils n’avaient pas à lire dans