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peur, de l’incompréhension, toutes les véhémences des âmes élancées, qui veulent atteindre et se confondre.

Se distinguer, attirer l’attention sur soi, c’est créer de nouvelles chances de communion, c’est être moins seul. C’est à cela que tendent ceux qui veulent la première place, encore que d’une façon générale ils puissent ne s’en pas douter.

Voilà pourquoi concourir, si menu que soit l’objet du concours, n’est point une sotte chose après tout, mais bien un petit — oh ! très petit — geste pour faire de soi-même pendant un instant une parcelle de héros. Les anciens transformaient volontiers les héros en demi-dieux et ils n’avaient pas tort : on est un peu dieu lorsqu’on est connu par ses actes d’une immense quantité d’hommes et qu’on a vécu de sorte à influencer leurs destins.

Et comme nos gestes les-plus insignifiants ont leur origine oubliée dans la primitive religion de nos ancêtres, le fait de broder un coussin pour avoir le premier prix au concours des ouvrages féminins manifeste quelque chose de ce grand instinct de sympathie universelle, qui a pris tant de formes bizarres et disparates qu’on a peine à le reconnaître. C’est le désir de se rejoindre qui jette les peuples les uns sur les autres avec des armes de mort au poing, parce que s’entre-tuer est le seul moyen de se connaître et de se pénétrer des races naissantes. Bel instinct qui finira par révéler la fraternité ardente qui palpite sous les rages meurtrières, les rivalités et ce désir de primer qui n’est qu’une forme incomprise du grand besoin d’amour par quoi la vie dure et rayonne !

Fœmina.