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La manie
de concourir


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Les tristes accidents dont la « marche de l’armée » a été l’occasion incitant à causer des concours. M. Abel Hermant a dit, ici même, et avec la solidité d’argumentation qui lui est familière, l’inconvénient et l’avantage de l’émulation ; rien ne reste à ajouter après lui. Aussi n’est-ce point de l’émulation que je voudrais parler, mais du secret instinct dont elle est la manifestation superficielle.

La manie de concourir, le goût de cet effort pour primer, dans l’espoir d’un bénéfice tant matériel que moral, nous parait être particulièrement français. Et c’est comme tel que nous aimons à le dénigrer, avec la pointe d’orgueil que nous apportons toujours à constater nos défauts.

En effet, on concourt pour chaque chose dans ce pays-ci. Pour les places et les diplômes d’abord, et de cela nombre de gens se plaignent, car c’est une contrainte. Mais laissé en liberté, ayant le choix de son plaisir, le Français se rue vers toutes les formes de concours avec un entrain merveilleux. Ouvrir un concours de n’importe quoi est devenu le meilleur procédé de réclame. On a eu dans ces dernières années des concours épistolaires, des concours d’ouvrages féminins, de musique, de poésie, de nouvelles, et même des concours de devinettes, par lesquels l’ingéniosité des lecteurs de feuilletons était requise pour décider si, dans la suite du roman en cours de publication, la jeune fille épouserait le vicomte, tandis que la marquise résisterait à l’ingénieur.

Est-ce seulement parce qu’elles rêvent de mériter une peinture de Mme Lemaire, douze pots de crème Simon, voire une bicyclette, que nombre de personnes qui pourraient aisément se procurer ces objets de seconde nécessité s’appliquent et s’évertuent ? J’imagine que non, et que c’est bien plutôt pour se donner l’agrément abstrait de la victoire qui consiste à être premier en quelque chose.