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sous les vertes travées de ce cloître végétal, assister aux matines des morts. Je m’imagine aussi que j’ai une multitude de pensées que personne n’a jamais eues : et c’est probablement pour ne pas les rencontrer ailleurs, que je ne lis jamais les livres que j’apporte. J’aime mieux écouter les petits oiseaux qui chantent, comme des esprits venus du ciel pour accompagner les soupirs de la terre.

Mes bouleaux changent d’aspect le soir : quelque chose de solennel y descend avec l’obscurité. Enveloppés de leur écorce blanche, ils ressemblent de loin à des revenants debout à côté de leurs fosses. Ils murmurent tristement, comme des spectres affligés de retrouver sur la terre les ténèbres dont ils sortent, et l’humide repos de leurs froides cavernes. Je m’y promène souvent à cette heure qu’ont célébrée tous les poètes, et mon silence converse avec celui de la nature. Je me plais à voir les étoiles scintiller entre les branches, comme des yeux vigilants ouverts dans le ciel sur les vivants, qui s’entretiennent avec la poussière du passé. Je me demande quelquefois si ce ne sont pas les cénobites, qui écoutent du regard ce que je puis dire aux arbres qui les remplacent ; et quand mes yeux s’abaissent, quand je vois sous la mousse rayonner les vers luisants, je me demande si ce ne sont pas les morts qui écartent leur linceul, pour me regarder passer.

Ces espèces d’idées dont je cherche à vous rendre compte, ne sont certainement pas indispensables au bonheur ; et je connais des gens, enchantés d’eux et de leur sort, qui n’ont jamais éprouvé rien de pareil. Un bouleau, pour