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bernacles vides, les basiliques abandonnées : de bien beaux… qui ne sont pas de moi.

Je ne vous ferai pas la description de mon prieuré, beaucoup plus grand qu’il ne faut pour un ermite. C’est une énorme chaumière qui a l’air d’un petit castel mal conformé, et si enfoncé dans les bois, qu’il faut savoir où elle est pour la découvrir. Je m’y plais, mais je ne la trouve pas belle. Malgré mon métier, je ne suis point assez ami des fictions pour lui attribuer des attraits qu’elle n’a pas. Ce que j’aime dans cette retraite, c’est son isolement, la verdure qui l’environne, les mille et une fantaisies qui voltigent dans les châtaigneraies et les saulées d’alentour, comme des oiseaux d’un autre âge, qui viennent voir ce qu’on fait dans celui-ci. Ce que j’aime, ce sont les souvenirs que j’y recueille, et que je prends pour des idées. Il me semble que j’ajoute à ma vie les jours que je n’ai pas vus et qui ont passé sur ma demeure ; alors, quoiqu’il me reste à faire en ce monde une foule de choses que je ne ferai pas, je me console du peu de temps qui m’est sans doute réservé, en songeant à tout ce que j’ai vécu sans le savoir.

Il y a dans mon jardin une remise de frênes et de bouleaux, qui était autrefois, m’a-t-on dit, le cimetière de la communauté. C’est là que, le matin, je vais souvent méditer, tenant à la main un livre que je ne lis pas, ou que je ne comprends pas quand je le lis : j’aime mieux écouter le bégayement des feuilles qui s’éveillent. Je me figure que quelque chose des moines a passé dans les rameaux des arbres qui ont poussé sur leurs cercueils ; et je crois,