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mais encore assez entiers pour attirer les savants et les poètes : ce qui fait sans doute qu’on n’y voit jamais personne.

Voilà, Madame, ce que c’est que l’abbaye de Notre-Dame-du-Val, dont on a simplifié ou abrégé le nom, en lui retirant de sa grâce et de son coloris. Je n’en possède qu’une assez minime portion ; mais le reste m’appartient par droit de voisinage et par droit de rêveries. Les ruines appartiennent à qui sait les lire, à qui sait jouir des leçons qu’elles donnent, à qui sait cueillir, dans les fentes dentelées des murailles, toutes ces gerbes de pensées qui s’y balancent au moindre souffle avec le panache des giroflées et les banderoles des liserons. Je suis trop peu ingénu pour vous dire que j’y moissonne de beaux vers, mais j’y respire à pleins poumons la quiétude et la poésie. Il y a même des jours où je parierais qu’on n’en peut pas respirer davantage. Le malheur, c’est que je ne fais rien du tout de ma respiration. Je me dis quelquefois que c’est par indolence : je croirais plutôt que c’est par faiblesse. J’ai tant de choses à dire, que je ne m’y reconnais plus ; et, de peur de garder pour moi la meilleure, je prends le parti de garder tout.

Quoique passionné pour la solitude, je ne boude pas toujours quand on me relance dans mon terrier : et je serais bien heureux, Madame, que vous vinssiez partager quelquefois mes rêves. Il me semble que je vous dis là quelque chose d’un peu équivoque ; mais, ma foi, tant pis ! Je serais donc bien heureux que vous vinssiez partager ce que j’ai à vous offrir : de ravissantes promenades sous