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les vicissitudes de la fortune. La restauration en exila le nouveau maître, qui n’y revint plus tard que pour mourir : et sa propriété, coupée par lots pour allécher les amateurs, fut une seconde fois mise à l’encan. Le monastère avec ses jardins arrosés de belles fontaines, couverts d’arbres majestueux qu’on aurait pu croire séculaires, échut à un notaire de village ; la maison du Prieur et quelques hectares de parc à un banquier ; le reste à un épicier de Pontoise. Le gouvernement, si favorable alors aux idées religieuses, n’empêcha personne d’être barbare. Le banquier, auquel j’ai succédé, dépensa dans son bout d’abbaye cent mille francs pour l’enlaidir ; et je suis en train d’en dépenser autant pour défaire ce qu’il a fait, pour rendre à cet asile son capuchon et sa tonsure. Plus impitoyable encore que le banquier, mon voisin le tabellion fit raser les bois pour se chauffer ; fit saper, pour en vendre les matériaux, toutes les constructions modernes de M. Regnault (ce qui n’était pourtant pas trop vandale, il faut l’avouer). Il démembra, pour en arracher les charpentes, ce palais greffé sur un couvent, et y établit, pour l’achever, une manufacture de je ne sais quoi. Alors on troua les murs pour y faire passer des tuyaux, on creusa des fourneaux dans la chapelle, on installa des écuries dans des salons, on cassa les cintres pour faciliter l’entrée des charrettes. Et qu’en résulta-t-il ? c’est que la manufacture ne mit pas la clef sous la porte, parce qu’il n’y avait plus de porte, mais s’en alla, laissant derrière elle un monceau de décombres, qu’on appelle dans le pays le vieux cloître : décombres, si vous voulez,