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qui nous en explique le plus couramment les ouvrages, qui nous initie aux prodiges qu’il surprend ou qu’il devine, qui nous les fait toucher, qui nous prête ses forces pour monter ou descendre avec lui. La poésie est une traduction musicale des secrets du Très-Haut. C’est le langage universel que le cœur parle avec la nature et lui-même. C’est celui que je bégaye, et que modulait Virgile, celui qu’emploie Corneille, et qu’ignore Boileau ; c’est la langue d’Homère et des prophètes, qui change de clavier, sans changer de génie ; c’est la langue d’Eschyle retrouvée par Shakespeare, adoptée par Schiller, tourmentée par Byron.

Essayez de la parler dans le monde ! on vous rira au nez, et on vous dira pour la dix millième fois (car on ne se lasse jamais de répéter les sottises), qu’un savetier est plus utile que vous. Qu’est-ce que cela prouve ? que les savetiers sont en majorité. Je ne méprise pas ce genre d’industriels, et il se peut que ce soit une classe fort estimable ; mais je crois, en conscience, qu’il y a quelque chose de plus noble à me mettre une idée de plus dans la tête, qu’à me mettre une pièce à mon soulier. Ce qui devrait réconcilier un peu le monde avec la littérature, c’est qu’on fait aujourd’hui des livres, comme on fait les bottes. On devrait mettre au moins les deux métiers sur le même rang. C’est le même procédé : il n’y a de changé que le nom de la marchandise. Mais tout n’est que contradiction : ce serait vraiment à en mourir de chagrin, ou à se faire trappiste. Il y a cependant encore un parti à prendre et que je conseille à tous les savetiers qui ont de quoi