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qu’une tragédie comme la Phèdre de Racine suppose plus de génie que l’épître incestueuse d’Ovide ; mais je ne vois pas pourquoi je brûlerais, en l’honneur d’une tragédie que je trouve fort belle, une épître qui ne l’est pas moins. J’aime mieux les admirer l’une et l’autre. Le plan compliqué d’un long ouvrage sera toujours plus difficile à ourdir que celui d’une lettre ; mais pour l’exécution, celle de la lettre est une tâche tout aussi rude, précisément parce qu’elle offre moins de prise à l’intérêt, parce qu’il faut, pour nous entraîner, que la pensée de l’écrivain ait le relief et le mouvement de l’action. Dans. le drame, le contraste des caractères, les oscillations de la scène, la succession rapide et continuelle des personnages, aiguillonnent et alimentent la curiosité, soutiennent l’attention du spectateur, et peuvent de temps en temps, sinon voiler, au moins dissimuler l’indolence de la pensée, la mollesse et le lâché de l’expression. Le poète, ici, est forcé de toujours l’être : il ne peut pas se lever du trépied sans tomber. Il est sa seule providence à lui-même ; il est le centre et le pivot de son œuvre. Si la richesse de l’idée l’abandonne, il n’a rien pour y suppléer, rien pour déguiser sa fatigue ou sa négligence. Il est perdu, s’il s’arrête : et au lieu d’abuser son auditoire, il lui prête, à chaque faute, un flambeau pour la voir.

Il ne faut pas croire que je sois le seul qui ait soutenu la cause que je —défends. Si Quintilien n’en parle pas, il y a eu en France un homme, qu’on affuble encore de ce beau nom, qui s’en est fait le chevalier. On ne s’attendrait pas