Page:Le Fèvre-Deumier - Œuvres d'un désœuvré, tome 1, Prose, 1886.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde, un monde où il n’y a qu’une langue, comme il n’y a qu’une intelligence. Convenons donc, pour terminer, que les vers ne font pas question. La seule difficulté, c’est d’en faire de beaux. Dorat aurait écrit ses épîtres en prose, qu’elles n’en seraient pas meilleures que ses tragédies, qui sont en vers, à ce qu’on assure. Il m’en coûte, je le répète, d’attaquer ainsi de pauvres auteurs qui sont, depuis des siècles, enterrés avec leurs livres ; mais puisque je pleure la mort de l’héroïde, il faut bien que je m’en prenne à ses assassins.

Un des inconvénients, ou plutôt un des écueils de ces sortes de compositions, c’est le récit. Il est étrange, dans la plupart des cas, qu’on relate mot à mot, à quelque martyr privilégié, des événements qu’il doit savoir sur le bout de son doigt ; et d’un autre côté, il est nécessaire que vous mettiez au fait le lecteur qui n’y est pas. Si vous n’y employez toutes les rubriques de l’art, vous courez risque de donner un pendant à ces expositions de tragédies, tirées de l’histoire de France, où deux personnages se débitent, à propos de bottes, un tas d’aventures qu’ils connaissent si bien qu’ils n’y prennent garde ni l’un ni l’autre, et que tout le monde leur donne raison. Ce défaut ne tient nullement à l’obligation de raconter : il réside tout entier dans la manière dont on raconte. Si vous m’allez dévider méthodiquement votre anecdote, rédigée par paragraphes comme un acte de greffier, bonsoir ! ce n’est jamais ainsi que la douleur et la passion procèdent : je ne vous écoute pas. Le fait ne doit que s’entrevoir à travers les pleurs que vous versez, sous les plaintes qu’il