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rai volontiers que c’est absurde. Que Gabrielle de Vergy, au moment où elle vient de manger le cœur de son amant, le remâche encore dans une épître de huit cents vers, plus indigestes que son repas ; c’est stupide. Une lettre de Jean Calas à l’univers ne me paraît guère mieux imaginée, qu’un billet de l’univers qui lui en accuse réception ; c’est souverainement ridicule. J’en dirai autant d’une lettre de Caïn dans le désert à Melle Méhala-Caïn son épouse : cela passe toutes les bornes. À supposer qu’il ait pu la lui écrire, qui diable a pu la lui porter ? Cette invention me paraît jouter de supériorité avec celle de ce poète italien, qui fait cadeau à Adam d’une bibliothèque où il est tout étonné, et Dieu aussi, je gage, de trouver les œuvres de Descartes, reliées en maroquin rouge et dorées sur tranche. Passe encore pour les œuvres ! le génie est de toute éternité ; mais la reliure n’en est pas. Que peut-on décemment préjuger sur de pareilles inepties ? La valeur d’un champ ne dépend pas des imbéciles qui le fourragent. Faut-il brûler ses fermes, parce qu’on a de mauvais fermiers ? Si c’est là une manière de régler ses comptes, ce n’est pas le moyen d’arranger ses affaires.

On peut être extrêmement naturel, en franchissant toutes les bornes de la nature ; l’indispensable est de ne pas choquer la raison. Or, ce n’est peut-être rien que le bonheur du sujet : l’habileté consiste moins encore à le bien choisir, qu’à le bien disposer. Il est évident que, à peine assassiné, Abailard n’a pas pu se relever tout sanglant, pour envoyer à un ami trente pages, plus ou moins in-octavo, d’infortunes. En eût-il eu physiquement le