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si près, qu’on pourrait croire que c’est le même : celui de manquer de naturel. Il est impossible, allègue-t-on, à qui se débat sous la griffe ou les tenailles du malheur, d’écrire une longue lettre, surtout de l’écrire en vers ! Nous ajouterons qu’il est même souvent impossible de dire un mot. En résulte-t-il que, dans un ouvrage d’esprit, chaque fois qu’on aura fait sortir ses personnages des gonds où l’on a coutume de tourner, il faudra, pour se conformer à la nature, qu’ils ne desserrent pas les lèvres ? Ce serait commode. J’approuve la recette, quand je suis obligé d’avaler certaines tirades de nos coryphées ; je suis entièrement de votre avis, si vos héros n’ont en sac que des vers de M.A.ou de M.B. : je n’en suis plus, s’ils doivent nous donner du Corneille. Il se peut qu’on ne puisse parler ; mais cela n’empêche pas de penser. Or, que deviendront les pensées qui couvent, qui fermentent sous le silence de la passion, s’il ne se trouve pas là quelque interprète charitable, qui se charge de les traduire, pour ceux qui ne peuvent les deviner ? Que cette traduction soit en vers ou en prose, je m’en inquiète assez peu : l’important est qu′elle soit fidèle. C’est au reste une question à vider à part, que celle de la poésie et du langage qui lui convient : nous ne l’éluderons pas. Convenons seulement, pour le quart d’heure, qu’il y a des situations dont la perplexité peut, au lieu de l’entraver, stimuler l’éloquence. Il ne s’agit que de les choisir.

Qu ’un homme blessé à mort, et qui n’a pas trois heures à vivre, écrive, à son amante qui se porte bien, une lettre qu’elle ne pourra pas lire en moins de trois jours j′avoue-