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qui me semblaient si frais (tout devient printanier, quand on regarde à travers les branches fleuries du printemps), je n’ai rien perdu de mon penchant pour le genre qu′ils exploitaient : il m’est venu vingt fois à l′esprit de faire passer mes impressions personnelles sous le nom lamentable de quelques héros des deux sexes. Ils ont échappé jusqu’ici, grâce à Dieu et à ma paresse, à cette nouvelle chance d’infortune ; mais je ne répondrais pas qu’ils en fussent toujours quittes pour la peur. Sauvez-moi de la tentation, en y cédant vous-même ; vous me rendrez service et à la poésie aussi.

Je suis porté à croire, malgré les statuts canoniques des professeurs d’humanités, que c’est le fond qui discrédite la forme, et que le moule vaut mieux que ce qui en est sorti. Ce n’est pas la faute de ce moule, si MM. Feutry, Douxigné, Mailhol, et autres grands hommes, n’avaient à y couler que des niaiseries sentimentales comme M. Blin de Sainmore, ou des lieux communs comme M. La Harpe. Ces honorables défunts n’en faisaient ni plus ni moins pour la tragédie ; et leurs odes n’étaient pas meilleures que leurs drames. En devons-nous conclure que l’ode est une sottise, et l’art d’Eschyle une baliverne ? Il y a peut-être, de par le monde, d’honnêtes gens qui le prétendent ; mais cela ne prouve rien, sinon que l’esprit a les mêmes infirmités que le corps, et que la cervelle peut être aussi tortue que l’omoplate, aussi bancale que les jambes. S’il faut, de temps en temps, hurler avec les loups, on n’est pas forcé, Dieu merci ! de se bomber l’échine à chaque bossu qui passe. Il n’y a pas encore de règlements de police qui or-