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qu’il n’ait plus de feuilles. Et nous sommes riches ! La belle richesse, que d’en appauvrir les signes ! Croyons-nous donc briller de toutes les lumières que nous éteignons, ou engraisser de l’amaigrissement des autres ? Eh ! Seigneur Dieu ! quand il n’y aurait plus de palais, ce n’est pas une raison pour que nos masures soient des châteaux.

En vérité, en vérité, je vous le dis : nous sommes la bande noire du monde intellectuel, de prétendus millionnaires qui nous mettons comme des charbonniers, et qui nous requinquons sous nos loques, comme des consuls romains sous leurs toges. À voir les abatis que nous faisons dans le champ des lettres, les genres que nous proscrivons ou que nous essayons de proscrire, les mots que notre délicatesse élague brutalement du dictionnaire sous un prétexte ou sous un autre, on jurerait que nous ne chômons de rien : et, si je l’ignore, Dieu sait pourtant ce qui nous manque ! Nous nous donnons pour de fins gourmets, et l’on nous sert toujours le même plat : et cet immuable ragoût, nous nous fâchons quand on nous l’accommode un peu mieux qu’à l’ordinaire. Aristocrates jusqu’aux dents, notre palais routinier a toujours peur de déroger, et fuit l’innovation comme un sacrilège. Nous voulons, dans notre jansénisme d’appétit, que tout soit cuit dans la même casserole et assaisonné à la même sauce. Hors de là, point de salut ! Nous nous condamnons par orgueil au carême à perpétuité. En conscience, ce serait à faire frémir, si on se mettait à cultiver la terre, comme nous prétendons qu’on cultive l’esprit. Il n’y aurait bientôt plus qu’une