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HEUREUSE INVENTION DES POÈTES.


S’il appartient aux poètes de prêter toute la consistance de la vie à ce qui n’est pour nous qu’une ombre, c’est surtout quand il s’agit de donner plus de relief à l’infortune. Ils commencent par s’affliger de tous les traits dont ils la peignent. Ils sont sur ce point d’une habileté désespérante. Les premiers, peut-être, ils ont révélé aux humains la possibilité d’une existence outre monde ; mais il semble, les malheureux ! qu’ils en aient fait de prime abord deux parts bien différentes, et ne s’en soient réservé que la mauvaise. Ils ont arrangé, pour les autres un séjour de délices où ils ne mettront jamais les pieds, un paradis composé de toutes les jouissances qui leur manquent, et c’est toutes celles qu’on connaît. Ils sont comme les architectes, qui bâtissent pour les rois de superbes palais, où ils ne sont point admis. Et la comparaison cloche, si vous la poursuivez. On dédommage les architectes avec des louanges, avec de l’or et des honneurs : on récompense les poètes avec des avanies. Exclus, de par eux-mêmes, de l’Élysée qu’ils inventent, il n’en est pas de même du Tartare. Disposant pour les