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aussi féroce qu’Alaric et Attila, portant la serpe dans le vieux monde romain, coupant pour le régénérer l’univers déjà trop mûr, faisant, enfin, des maîtres du monde la litière des Vandales.

Je n’en restai pourtant pas là de ma férocité : j’y mis bientôt le comble. Après avoir fait scier mon grain, je le fis battre en grange par un fléau, qui n’était pas celui de Dieu, et je l’envoyai, tout frais battu, sous la meule. Une fois en farine, je fus assez anthropophage pour le réduire en pâte et le faire cuire dans un four. C’est peut-être effroyable, mais, je l’avoue, je mangeai ce pain avec un délice, avec une volupté de gourmandise digne de Vitellius ou plutôt de Caligula. Il me semble, depuis ce temps-là, que j’ai du sang romain dans les veines, et c’est à cela peut-être qu’il faut attribuer ma manie assez récente de faire des citations.

Si la poésie consiste à darder son âme dans tout ce qui est, pour en surprendre le secret, certes il y a, je crois, de la poésie dans mon être : mon âme va partout. Seulement, voyageuse impuissante, elle oublie, en rentrant dans ses foyers, tout ce qu’elle a vu dans ses voyages. Et pourquoi diantre en parlez-vous, me demanderont ici les curieux ; et à quoi bon toutes ces tartines de philosophie, que vous beurrez de poésie sans les rendre moins sèches ? À quoi bon ! je n’en sais rien de rien. Mais puisque je fais de pareils monologues, je suis trop religieux pour n’en pas conclure qu’il est nécessaire que je les fasse : mes réflexions doivent servir à quelque chose et à quelqu’un. « Je ne saurais croire, dit Baggesen, que