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me demandais ce que je penserais, si j’étais l’astre chargé de mûrir cette moisson de deux mille ans, qui ne compte pourtant qu’un été. Je me représentais ce que chaque grain de blé avait vu du temps de César, quand il se berçait dans sa cellule aux vieux vents de la Gaule, et je redescendais le long de leurs tiges interroger sous la terre le grain paternel, devenu la racine de cette vivante postérité, étudiant quels sucs de traditions il pouvait encore envoyer à ces frêles chalumeaux d’or chargés d’un peuple d’héritiers. Je voyais encore là un emblème, un symbole de l’histoire humaine. L’homme est un grain qui germe, ayant ses aïeux pour racine, et qui, enfoncé dans le passé, balance au soleil, que ne voient plus ses pères, l’épi traditionnel de ses vertes pensées.

Quelque jugement qu’on porte de ces mystiques divagations, j’en ai dit assez, je présume, pour prouver que j’avais tort d’accuser de stérilité la découverte du tombeau de Faber : c’était une mine d’aliments. Tant que mon grain fut sur pied, ma pensée ne fit pas autre chose que de s’y tapir jour et nuit comme une couvée de cailles ou de perdrix ; et, si cette comparaison vous paraît trop ambitieuse, mon esprit ne cessa pas de s’y ébattre comme une sauterelle, ou d’y chanter comme une cigale, voire même comme un cri-cri. On a beau cependant aimer son blé de tout son cœur, cela n’empêche pas d’en faire du pain ; et quand ma récolte fut à point, il me fallut songer à la faucher. Ce que j’éprouvai alors, il faudrait, pour vous en instruire, le burin de Tacite, le poinçon de Sénèque, et je n’ai qu’une plume qui ne marque pas. Je me trouvais