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un écho du vent dans mes épis, regardant les oiseaux qui viennent becqueter sans respect les représentants du peuple-roi, et les libellules qui voltigent sur leurs têtes comme de petits génies de la victoire, et les frelons qui sonnent des fanfares en agitant leurs ailes. Et ces bluets que j’oubliais, ces coquelicots dont la vie d’hier se mêle à cette existence qui date de si loin, s’abreuve aux mêmes sources se balance au même souffle, pour tomber sous la même faucille, ou périr sous le même orage ! Quand on songe à tant de choses à la fois, il est bien difficile de se retrouver : c’est ce qui fait sans doute que je n’en puis pas sortir.

Ne croyez pas que je sois au bout de toutes les questions, qu’effleurait ma rêverie. J’étais tour à tour poète ou naturaliste, orateur ou historien, religieux ou matérialiste. Mes épis, en secouant la tête, en faisaient tomber à chaque coup une encyclopédie. Je comparais leur réveil à celui d’Epiménide. Je m’imaginais qu’ils jouissaient de la nature comme des ressuscités : comme Lazare ou la fille de Jaïre, quand le doigt de Dieu dérangea la mort de leur paupière pour les rouvrir au jour ; comme ces deux amants de Klopstock, qui glissent entrelacés dans la nature, qui se sont levés du tombeau comme nous de notre couche, et aspirent, en convalescence du néant, l’air onctueux de la vie : et je passais de cette idée gracieuse à l’idée repoussante de ces reptiles qui restent pendant des siècles serrés entre deux pierres, qu’un coup de marteau délivre, et qui sortent tout à coup de leur fosse, regardant leur soleil oublié avec des yeux qui le reconnaissent. J’épiais dans cette verdure je ne sais quel reflet du passé ; et je