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un je ne sais quoi qui ressemble à la pensée, dont la graine sommeille quelquefois si longtemps dans le cerveau sans pouvoir y germer, et qui se dénoue, qui se développe, qui se produit tout à coup sans qu’on puisse deviner ni pourquoi ni comment ; et s’il y a dans la pensée quelque rapport avec les végétaux, qui pourrait assurer que les végétaux ne pensent pas ? Ils ont évidemment des sensations. Sommes-nous bien certains qu’il n’y ait pas réaction de la sensation sur quelque centre mystérieux, qui échappe à nos organes ? Et si cela est vrai, quelle a pu être la sensation de ces grains de blé, ensevelis si longtemps sous la terre sans pouvoir obéir à leur destinée, et quelle est la leur maintenant qu’ils l’ont remplie ? J’avais beau les questionner sur ce point-là, j’étais bien sûr qu’ils ne me répondraient pas. Mais le silence ne m’embarrasse guère : ce qu’on ne me dit pas, je l’invente ; et ce que je ne vois pas, je me le figure. Assis parfois sur le bord de mon champ, je restais des heures entières perdu dans de vagues contemplations. J’avais dans les oreilles un bourdonnement d’idées continuel qui n’était pas sans charmes : je voyais, j’entendais glisser autour de moi mille légers fantômes qui avaient tous ou un signe à me faire, ou un mot à me dire. Quant à moi, mes amis, vous me direz, j’en ai peur, que je fais toujours, ou peu s’en faut, les mêmes rêves, et que, les traduisant de la même façon, je les raconte de la même manière. Vous ajouterez peut-être qu’à propos de rien, me voilà, comme un Allemand, à califourchon sur la métaphysique transcendante, et que je retombe à chaque