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Un autre sujet d’admiration, dont je ne pouvais me lasser, c’était cette puissance de vie, renfermée sous un si petit volume, qui avait dormi si longtemps à côté de la mort, sans la gagner. Le grain de blé qui le nourrit a plus de vigueur intrinsèque que l’homme. Il y a, dans cette simple réflexion, de quoi subvenir pendant des siècles à l’appétit de l’intelligence. Je ne m’y arrêtai seulement pas. Les mains croisées derrière le dos, comme Napoléon quand il passait devant le front des bataillons, j’allais et venais devant mes gerbes, interrogeant leur force et leur valeur, passant en revue dans mon esprit tout ce qui vit dans la nature avec une apparence de mort, depuis le serpent et la marmotte, qui ne vivent que six mois par an, jusqu’aux insectes rotifères, qui ne vivent que par hasard, petits globules de sable, qui n’ont de mouvement que quand le vent les roule, qu’on enferme des années dans une boîte, et qui se mettent à exister dès qu’une goutte d′eau les touche ; depuis ces infusoires jusqu’à la chrysalide de la chenille ou du ver, cette graine animale, dont le germe caché s’élance en papillon : et je faisais de mes grains de blé autant de chrysalides végétales, d’où s’étaient, à leur heure, élancés, comme de verts scarabées, les cônes chevelus des épis. Si j’eusse été plus instruit, j aurais fait sur une de leurs barbes le tour de la science humaine. Moi, qui ne sais rien, j’eus bientôt fait le tour de l’univers.
Il y a peut-être, murmurai-je tout bas dans mes évolutions, il y a peut-être, dans l’organisation des plantes,