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philosophe, et, si je ne suis pas poète, d’aimer beaucoup la poésie. Cela ne fait pas que je cultive bien la terre, mais cela dit que j’adore la campagne, et que j’y rêve un peu plus que je ne laboure ; mes récoltes ne s’en portent pas plus mal. Je vous épargne ici l’énumération de tout ce qui me passa par la tête durant l’hiver qui suivit mes semailles. Je m’en abstiens avec d’autant plus de facilité, que je trouverai moyen de me rattraper au printemps. Je me contente, en ce moment, de vous assurer que Cérès ne fut pas sourde à mes prières : un an après l invention du tombeau de Julius Faber, je vis ondoyer dans mes domaines une moisson vivante, contemporaine de César.
Je vous entasserais dans d’innombrables paragraphes les plus laborieuses similitudes, que vous n’auriez pas le moindre soupçon des pensées, vraiment sublimes, qui se promenaient avec moi le long de mes sillons et de leur jeune antiquité. Par malheur, elles allaient si vite que je ne pouvais pas les retenir ; et celles que j’ai retenues, je ne peux pas les rendre. Vous êtes donc forcé de croire à leur sublimité sur parole : cela ne vous sera pas difficile, pour peu que vous ayez un scrupule de poésie dans la tête. Il me semblait, dans chaque épi, voir un Romain d’autrefois, et un Romain d’élite, avec lequel je pouvais m’entretenir aussi familièrement qu’avec mes légumes accoutumés. Ce que j’admirais surtout, c′était d entendre ce blé latin, qui me parlait couramment en français. J’avais semé du Cicéron et du Pline : il m’était poussé du Bossuet et du Buffon.