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tions rustiques ; j’en aurais, je crois, au bois de Boulogne, qui n’est guère champêtre, dans un jardin de curé comme dans les bosquets de Versailles. Abbaye à part, j’en ai aujourd’hui plus que jamais : d’où vient cela ? Je vous l’ai dit : c’est qu’il semble, à mesure qu’on s’en rapproche, que l’on s’éprenne davantage de la terre, et j’éprouve maintenant autant de plaisir à remuer la poussière qui m’attend, que j’en avais jadis à remuer tous ces magasins de phrases que je laisse maintenant dormir, les phrases des autres s’entend ; car pour les miennes, je ne les laisse pas un instant tranquilles. Ce n’est pas, Dieu m’en garde, que je fasse fi des livres ; mais j’ai si peu de temps pour en faire, que je n’en ai pas assez pour en lire. Grâce à eux cependant, je sens mieux le charme de ma retraite, et je me fais quelquefois illusion et sur moi-même et sur mes œuvres. Tantôt, durant les longues soirées d’automne, assis au coin du feu dans quelque fauteuil octogénaire, j’écoute, en lisant Byron, le vent qui miaule à travers mes couloirs, et je me vois bientôt, devenu l’homme que je lis, répétant au foyer de Newstead les poésies de ma jeunesse. Tantôt j’échange les vieux portails de la forêt de Sherwood pour les jeunes clochetons d’Abbotsford : et de Lara que j’étais je suis Monkbarn ou Waverley. Je me rends sans doute service par ces métamorphoses ; mais ce sont d’innocentes usurpations dont on peut m’absoudre sans scrupule. La gloire que je prends n’appauvrit pas ceux que je dérobe, et mon orgueil incognito n’effarouche personne. Je suis peut-être Byron tout bas ; mais tout haut, je suis un bon cam-