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que chose qui aura infailliblement le même sort ; c’est que, assez sensé pour apprécier mon intelligence à sa valeur, je ne me suis jamais soucié de faire prédominer mes vérités, qui sont peut-être des erreurs, sur des erreurs qui sont peut-être des vérités ; c’est qu’avant tout enfin, j’ai, sinon l’esprit, au moins le cœur du poète.

Si je sais le mal qu’on a semé au nom de la religion, je sais aussi le bien qu’on a fait, et je devine celui qu’on eût pu faire ; je n’accuse pas la source du limon qu’on y jette. Puis, j’ai si bien appris ce que c’est que souffrir ; j’ai tellement piétiné par le monde, que je me sens lié de sympathie à ces miens frères d’autrefois qui ont fui le désert morne et bruyant des villes pour le désert animé des solitudes. Je leur tiens compte des extases qu’ils n’ont peut-être pas eues, je leur sais gré des pensées que je leur prête, et je m’agenouille à leurs autels brisés, comme si j’y devais trouver l’inconnu qu’ils y voyaient, comme étant du même culte qu’eux par mes afflictions d’autrefois, par ma sécurité d’aujourd’hui. Il est juste d’ajouter que ces autels brisés sont gothiques, et que l’architecture chrétienne, mirage pétrifié des mille caprices de la nature, s’harmonise mieux avec nos paysages que les lignes droites et les courbes régulières de la Grèce. Les colonnes élégantes du Parthénon sont sans doute plus belles que les colonnes trapues de l’abbaye du Val ; mais celles-là ne réjouissent que mes yeux, celles-ci me font battre le cœur. J’ai de l’admiration pour les unes, de la dévotion pour les autres.

Je ne veux pas vous faire part de toutes mes émo-