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devant ces preuves de l’instabilité humaine, à se convaincre qu’il n’y a rien que d’éphémère ; à se consoler de son néant, en voyant ce que le temps fait des plus grandes choses. J’aime à voir, au milieu d’un riant paysage, se démanteler la poterne ou les tours de quelque château féodal, dont la mousse a rongé les écussons ; à voir flotter des touffes d’herbes dans les embrasures de ses créneaux, et la ronce sortir, armée d’épines, du creux des meurtrières. J’ai passé de longs jours à méditer près des colonnes décapitées de la Grèce et de Rome, sous le dôme crevé d’un temple de Minerve ou d’Apollon, à ramasser des fleurs semées par les oiseaux dans les tombes anonymes des hommes ou des dieux ; mais rien, ni les bastions des chevaliers du moyen-âge, ni les ossements grandioses des anciennes cités, rien ne m’a jamais plus inspiré que le pignon d’une chapelle perdue dans un ravin, que le clocher moussu d’une église ensevelie dans les bruyères.

Il vous paraît bizarre que moi, qui ai le malheur de n’être ni croyant ni crédule, moi téméraire, qui ne recule devant aucun doute, je me complaise en la remembrance de ces humbles cénobites qui n’ont douté de rien, qui ont fait de leur vie une affirmation continuelle de tout ce que je ne puis pas croire : c’est qu’avant tout, Madame, j’ai la religion de la loyauté, et que je respecte tout ce qui me paraît sincère ; c’est que, si sceptique que je sois, je n’ai jamais laissé ma raison prendre le dessus sur mon instinct ; c’est que, sachant la fin de nos créations, il me paraît inutile de détruire, pour édifier quel-