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vous pas que le sommeil y serait gentiment bercé par le bruit du vent dans les roseaux, par le chant des mésanges dans les feuilles toujours vertes de ces pins de Norvége ? Allons, décidément c’est à ce tombeau-là que je m’arrête. Ce qu’il y a de bon, c’est que tous ces lieux où je vous promène ne m’appartiennent pas ; mais je me persuade toujours qu’ils doivent finir par être à moi ; et, pour en prendre possession, je m’y enterre d’avance.

Si je ne forge un poème épique sur l’abbaye du Val, il est bien possible, au train dont je vais, que je fabrique un gros volume. Je crois même qu’il est fait ; et cependant, Madame, je ne suis pas à moitié de ma tâche. Nous autres, solitaires contemplatifs, dont la pensée trouve à vivre six mois sur un brin d’herbe, nous avons régulièrement huit ou dix sensations par minute ; et, quand nous nous mettons à les analyser, nous en avons pour huit ou dix ans à faire l’histoire d’une heure. Il est assez présumable que je serais le même autre part, mais je trouve ici plus d’excitants qu’ailleurs. Les arbres ont partout une voix : ils en ont ici plusieurs. La joubarbe qui pousse sous le porche lézardé d’un vieux cloître, a mille choses à vous dire que ne peut pas raconter une joubarbe vulgaire qui se cramponne aux murs d’un potager. Il n’est donc pas étonnant que je cause plus longtemps avec elle.

Adorateur fervent de la solitude, j’ai toujours eu un penchant secret pour les ruines : j’ai passé une partie de ma vie à visiter celles qui ont un nom dans le monde. On éprouve je ne sais quel douloureux plaisir à s’arrêter