Page:Le Fèvre-Deumier - Œuvres d'un désœuvré, tome 1, Prose, 1886.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et le regret de ne plus les avoir. Je me dis avec Horace, que de tous les arbres que j’ai plantés, aucun ne me suivra qu’un cyprès : ce n’est pas très gai. Encore faut-il que je sache où il sera, cet arbre si fidèle qui doit être mon seul gardien. Je lui choisis alors sa place, par conséquent la mienne ; et, quoique je n’aie guère envie de mourir, cela me réconcilie presque avec la mort, de penser que je dormirai là où j’aurai tant veillé, et que, oublié de tous, j′oublierai aussi tout le monde ; là où j’aurai eu tant de souvenirs, tant d’innocentes joies qui n’ont peut-être fait plaisir à personne, mais qui m’ont consolé de tout le mal qu’on m’a fait.

Voulez-vous faire avec moi le tour de mon vallon ? Je vais vous conduire dans tous les endroits que je préfère. Nous marquerons ensemble le coin de terre où j’aimerais à reposer ; et vous me promettrez quelques larmes, pour y faire pousser des primevères. Cela ne vous engage à rien, et les vivants sont toujours contents que l’on pleure leur mort. Nous allons d’abord gravir ce monticule couvert de broussailles, dont le dos s’arrondit vers le nord, et dont la plate-forme domine le plus beau paysage qu’il soit possible d’admirer : on se croirait dans les Alpes. On découvre de là, au centre d’un immense amphithéâtre de chênes et de peupliers, percé de quelques points de vue sur les plaines, la masse austère et brune du couvent flanqué de sapins énormes, qu’on prendrait de loin pour de grands fantômes d’évêques en contemplation devant leur cathédrale ; à gauche, les hauteurs et la commanderie de Villiers-Adam ; à droite,