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sauvages, apporté par la brise, qui fredonne à la fenêtre dans les réseaux du lierre. Mais quelle musique plus solennelle s’élève autour de vous dans cette enceinte, quand l’équinoxe de septembre, qui assiège dans leurs camps les arbres des forêts, vient faire aussi la guerre à ces colonnes, qui bivouaquent dans les décombres ; quand l’ouragan, qui est entré dans ces murs en traversant leurs cicatrices, ne sait plus comment en sortir, et, révolté de sa prison, semble autour des dortoirs sonner l’agonie du couvent ! Je ne sais pas si dans ses jours de gloire, lorsque l’orgue, pleurant la mort de Dieu, jetait, comme un orage d’harmonie, ses gémissements sous la nef, l’abbaye entendit jamais un concert plus sublime ébranler ses saintes profondeurs. Que les poètes le disent, eux qui savent tout ; eux qui, spectateurs de l’avenir, entendent dans le présent toutes les voix du passé !

Toutes ces impressions, dont je vous parais faire un si stérile usage, ne s’en amassent pas moins dans mon âme comme autant de richesses inappréciables ; mais je n’en jouis pas toujours sans tristesse. Les ruines que j’habite me font quelquefois songer à celles que je serai bientôt : je songe à la vieillesse, qui viendra saccager mon esprit comme elle a désolé ces murs ; aux toiles d’araignée, qui me pendront dans la pensée comme elles pendent maintenant de ces plafonds vermoulus, et qui m’empêcheront de bien voir la nature. Je songe, que de ces idées fraîches et vermeilles qui se succèdent maintenant dans mon cerveau, comme des étincelles d’un brasier qu’on tisonne, il ne me restera rien qu’une vague réminiscence de les avoir eues