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le langage ; ils en changent la pente et les élans. Enfermez-vous dans le bouge de Marat, s’il existe ! vous en tirerez bien, pour vous débarrasser de son odeur de crimes, quelques vers brûlants d’humanité ; mais y rencontrerez-vous les mêmes inspirations que sous les peupliers d’Essonne, encore tout palpitants, encore tout argentés des suaves rêveries de Bernardin de Saint-Pierre ? J’ai habité, dans ma première jeunesse, la maison d’André Chénier, dont le nom, dont les œuvres n’étaient point connus. Je ne me doutais pas que je serais admis un jour à étudier son génie, et j’y ai fait d’instinct une tragédie, moins bonne à coup sûr, mais d’un coloris grec aussi foncé que ses idylles ; c’était son ombre qui me parlait.

Le sanctuaire, dont je me suis fait le sacristain, s’élève, dans un vallon étroit et retiré, au milieu d’un groupe d’épicéas et de tulipiers, à quelque distance d’un ruisseau, qui coule entre les joncs sous des berceaux de frênes pleureurs. Riche et imposante au dedans, son architecture est lourde et massive au dehors : rien n’y peut captiver le regard, si ce n’est quelques fenêtres brisées d’où pendent, comme des draperies, des festons de lierre et de saxifrages. Ses hauts glacis grisâtres et pelés, soutenus de distance en distance par de larges éperons aussi nus que ce qu’ils soutiennent, le font ressembler à quelque caserne de ligueurs habituée aux propos grossiers de la soldatesque, plutôt qu’à un de ces pieux hospices accoutumés aux soupirs et aux chants plaintifs des suppliants. Mais le soir, qui est comme l’automne du jour, l’automne, qui est comme le soir de l’année, transfigurent le monument.