Cette note d’une forte intensité personnelle, rompt quelquefois l'unité artistique du « Baladin » , qu’on ne doit pas interpréter comme un poème passionnel, mais comme une satire des Irlandais. Cette œuvre prend, dans la littérature irlandaise, la place qu’occupe « Peer Gynt », dans la littérature norvégienne, et « Don Quichotte», dans la littérature espagnole. C’est une aimable caricature, une satire d'une poésie flamboyante, mais dénuée d’amertume caustique. L'histoire elle-même. s’il faut en donner les grands traits, doit paraître outrageusement insensée : Un jeune irlandais cherche un refuge dans une auberge irlandaise, perdue dans l’ouest - il est notamment poursuivi par la justice, pour avoir tué son père - il est accueilli comme un héros - tuer un homme est une chose banale, mais tuer son propre père est un geste puissant - Pegeen Mike, la fille de l’aubergiste, s’éprend du jeune homme, qui, a son tour, s’éprend d’elle (les métaphores pompeuses de leur dialogue amoureux n’ont leur égal dans aucune littérature dramatique) - le père assassiné apparaît à la recherche de son fils, oui s’est encouru trop vite-le fils. après tout, n’est qu’un pleutre - aiguillonné par les sarcasmes de Pegeen Mike, le jeune homme se mesure de nouveau avec son père et le rechasse vers la frontière de l’Est. — En dépit de cette histoire insensée, le drame ne dégénère pas un seul instant en farce ; il plane constamment dans les hautes sphères de la littérature et de l’inspiration dramatique.
Pour les Irlandais, cet esprit et cette poésie étaient peine perdue. On se ressouvint de l’adultère Nora. et on mena une vive campagne contre la pièce. qui lut donnée pour la première fois en 1907.
Pegeen Mike est notamment représentée, dans la pièce, comme étant disposée à coucher seule dans l’auberge où le baladin s’est caché ; et les ennemis de Synge de glapir que c’était la une chose qu’aucune femme irlandaise ne ferait.
Une phrase. particulièrement. était signalée à l'éxécration publique : « C’est Pegeen qu’il me faut », crie le Baladin, à ceux qui lui disent qu’il y a encore d’autres femmes au monde « et dussiez-vous m’amener tout un troupeau de jolies femmes, fussent-elles même en chemise. Je n’en voudrais pas. »
« Au mot « chemise » dit M. Yeats. « l’auditoire évacua bruyamment la salle » . Quelle chaste nation, n’est-ce pas, que celle que le mot «chemise» scandalise...
Voilà treize ans que Synge est mort, et, jusqu’ici, aucun dramaturge irlandais n’a pu atteindre sa hauteur ; si quelqu’un peut être appelé le dramaturge national irlandais, c’est bien lui ; et nous assistons, ainsi, au fait étonnant que ce titre doit être décerné, non seulement à un protestant, non seulement à un homme qui se sent chez lui tant à Paris qu’à Dublin. mais à celui que beaucoup de ses compatriotes continuent à regarder comme bien plus anti-Irlandais qu’un Anglais.