vont encore en mer dans des troncs d’arbres excavés, que Synge devait trouver l’atmosphère et la langue hallucinées qui rendent ses œuvres si différentes de toutes les autres productions littéraires.
« La Brume du Vallon » fut la première pièce de Synge qui vit les feux de la rampe. L’accueil qu’elle reçut fut hostile, et cela est naturel, car l’héroïne, Nora, est une femme pleine de tempérament, qui trompe, d’une façon coutumière, son mari vieillissant. Mais, d’après une tradition irlandaise millénaire - et, en Irlande, c’est la tradition qui fait la loi-la femme irlandaise est chaste. Et, dans la pièce de Synge, Nora amène son amant dans la chambre où se trouve le cadavre de son mari ; il est vrai que le cadavre (qui est un cadavre plein d’esprit, souffrant de la soif puissante de l’Irlandais - encore une tradition) - se dresse en courroux et chasse sa femme coupable, mais elle ne part pas seule, elle s’en va au bras d’un chemineau, qui a trouvé un refuge dans sa maison et qui lui chante l’appel passionné vers la liberté des vastes plaines sauvages.
La pièce lut jugée immorale et elle l’est, du point de vue mesquin de la morale courante, car les deux personnages qui, à la fin de la pièce, sombrent dans le ridicule, sont le mari, qui reste moisir dans son bon droit, et l’amant, qui serait resté attaché a la femme, si son mari avait été réellement mort, mais qui l’abandonne, quand elle est chassée de chez elle.
Le secret de Synge, ainsi qu’il ressort de la «Brume du Vallon»,c’est son âme de révolté. Non point un révolté politique : il se désintéresse complètement de la politique. Ni même un révolté contre les idées courantes de moralité : il ne fait ni sermons ni théories. Mais sa vie intellectuelle était si intense qu’elle le rendait presque inconsciemment hostile à la vie commune qui l’entourait ; et sa connaissance intime de la vie continentale, des étudiants de Montmartre jusqu’aux paysan de la Forêt-Noire, lui faisait voir clairement tout ce que la société irlandaise avait de prétentieux et de banal. C’était un véritable Irlandais, mais (comme Farnell, qui traitait ceux qui le vénéraient avec un souverain mépris), pour les Irlandais, il n’était pas des leurs. Yeats dit de lui que c’était un homme impétueux, taciturne, plein de passion cachée ; mais cette passion ‘cachée s’épanouissait en un flamboyant éclat dans ses drames étranges. Il était d’une nature maladive (il mourut en 1.009. probablement du cancer), et la vigueur avec laquelle il dessine ses caractères, la joie qu’il prend aux créatures passionnées et aux vastes espaces balayés par le vent ne sont que les cramponnements fébriles d’un homme voué à une mort prématurée et qui s’accroche à la vie.
Ce culte de la vie et de la passion éclate, avec frénésie presque, dans la langue exaspérée de la plus fameuse de ses pièces, « Le Baladin du Monde occidental » ; il est de ses phrases qui brûlent de la souffrance des sens inassouvis du célibataire, de la cuisante torture du désir exacerbé.