Page:Le Diable boiteux, numéros 1 à 18, 1er avril - 26 juin 1816.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Léonie de Montbreuse suivit Laure d’Estell. Dix ans écoulés entre la publication de ces deux ouvrages avaient mûri le talent de l’auteur, et perfectionné son jugement et son style. Le premier de ces romans n’offrait qu’une peinture vague des malheurs de l’amour et des dangers de la séduction ; dans Léonie de Montbreuse, madame S. G., en s’imposant une tâche plus difficile, se proposa un but plus moral.

Pour épargner à son enfant les chagrins qui l’ont affligé dans la jeunesse, les fautes qu’il a commises et les malheurs qui en ont été la suite, un tendre père fait à sa fille l’aveu de ses torts, et l’arme en quelque sorte de sa propre expérience. Cette situation principale encadrée avec beaucoup d’art, et développée dans de justes proportions, justifierait seule le succès que ce roman a obtenu, et lui assure une place distinguée parmi les productions de ce genre.

C’était une idée plus hardie que philosophique que celle d’ôter à l’amour ses deux principaux moyens de séduction, et de le montrer en proie à l’une de ces infirmités humaines qui semblent à jamais l’exclure. On peut, sans le dépouiller du sentiment qui en fait le charme, se figurer l’amour aveugle ; mais l’amour sourd et muet de naissance n’offrira jamais qu’une image purement physique : l’oreille est le chemin du cœur ; la voix en est l’organe ; privé de ces deux facultés, un amant n’est plus qu’un pantomime, dont l’âme est toute entière dans les gestes ; ce genre d’éloquence a son mérite, mais il est bien borné. L’Anatole de madame S. G., réduit à cette triste condition, ne pouvait guère inspirer que de la compassion, et il ne fallait rien moins que l’adresse de l’auteur et la sensibilité positive de l’héroïne pour qu’il pût aspirer à un sentiment plus tendre. Cet ouvrage a le mérite de la difficulté attaquée, mais non pas de la difficulté vaincue.

S’il était vrai, comme on l’a souvent avancé, sans preuve, que l’auteur se peignit dans ses ouvrages, on serait en droit de penser que madame S. G. a plus d’esprit que de jugement, plus de jugement que d’imagination, et plus d’imagi-