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LE CRAPOUILLOT

grande Allemagne, ils ont gravé sur sa pierre « Honneur et Patrie » ; c’est du moins ce qu’assure M. Maurice Soulié dans son livre dramatique et vivant sur les Procès célèbres d’outre-Rhin[1].

Et cette diversité dans la renommée est digne sans doute de quelques réflexions, par ce temps d’Anschluss.

J. Lucas-Dubreton.


Memento

P. J. Gumbel. — Les crimes politiques en Allemagne 1919-1929 (traduction de l’allemand par Charles Reber. — N.R.F. éd.).

C’est est moins un livre d’histoire proprement dite qu’un exposé sous une forme documentaire, volontairement sèche et systématique, de la longue série d’attentats perpétrés, d’assassinats commis au nom de la Patrie allemande par’es organisations de droite, durant l’après-guerre. — De 1919 jusqu’à l’assassinat de Rathenau en juin 1922, il a été commis en Allemagne 354 crimes politiques de droite, contre 22 de gauche. Parmi les crimes de droite, un seul a été puni, celui de Rathenau ; tous les autres sont demeurés impunis ou quand une condamnation a été prononcée, la peine s’est distinguée par une mirifique douceur. — Quant aux crimes dus à la gauche, aux communistes, ils ont été plus sévèrement traités par la fameuse justice du Reich : 17 punis, 5 impunis. — Ces chiffres sont suffisamment éloquents, et point n’est besoin de les commenter ; mais le détail de chacun de ces attentais, pris en particulier, éclaire bien curieusement la mentalité allemande : les gens de Hitler, la Reichswehr noire, — dont un ministre a osé nier l’existence — tuent ou « suppriment » pour venger le nom allemand des traîtres, de ceux qui tolèrent la République ou innocemment se figurent qu’un traité dûment signé doit être exécuté. De là l’indulgence, la complicité du juge qui veut ignorer le coupable, ou qui, si on le lui livre, ne découvre en vérité aucun fait à sa charge. Spectacle à la fois lamentable et bouffon, et qui donne une bien étonnante idée de la Thémis teutonne ! Un fait entre cent : Une jeune fille de dix-neuf ans, Marie Sandmayr, ayant lu l’avis de la Commission de désarmement qui ordonne de livrer les armes cachées, avertit celle Commission qu’au château de llolzen esl dissimulé un dépôt d’armes. Or, le Commissaire fait partie de la « Garde civique », organisation de droite. Ceci a lieu le dans un parc le cadavre de Marie Sandmayr, dont les vêlements poilent un papier épinglé avec ces mois : « Scélérate, lu as trahi la pairie et la main noire t’a assassinée. » Aucun des criminels, qui avaient étrang e par surprise celle consciencieuse petite bonne, ne fut puni… Et le livre de M. Gumbel contient nue kyrielle dann-dotes de ce genre. Cela donne à penser…

Jules Bertaut. — L’Opinion et les mœurs (La Troisième République, 1870 à nos jours). Éditions de France.

Donner en cinq cents pages à peine un raccourci de la vie française pendant une soixantaine d’années, noter les crises principales, et les drames, les modes, les goûts, les caprices de l’esprit public, restituer au naturel ces existences passées, déjà poussiéreuses et souvent ridicules, et cela sans être ennuyeux, sans tomber dans la nomenclature, dans la manière d’un dictionnaire, — ce n’est point une tâche aisée. Jamais le truisme que « faire court » est plus difficile que « faire long » n’a été d’une plus juste application.

M. Jules Bertaut a réussi ce tour de force et avec une désinvolture, une simplicité intelligente et avertie qui vraiment forcent l’admiration. Pas une once de pédantisme ; point de phrases de manuels ! L’auteur ne systématise, ne catégorise pas ; il reste dans le mouvement de la vie, suit et observe la foule qui s’émeut au spectacle des luttes politiques ou des expositions, qui s’engoue d’un général ou d’une machine, qui clame dans la rue sa foi dans l’innocence d’un condamné ou sa répulsion des parlementaires convaincue de prévarications ; il entre à sa suite au théâtre, dans les cabarets et « les bastringues », reporter attentif des gestes, des réflexions, des réactions… en sorte que le tableau qu’il nous livre a du frémissement, de la gaîté ou du tragique, et cela sans effort apparent, sans que la soudure, « la charnière » entre les divers épisodes soient trop sensibles et bloquent soudain l’attention. Panorama sans doute, et il ne pouvait en être autrement, mais panorama grouillant, coloré, d’où surgit, à point nommé la figure des protagonistes essentiels. Ceux qui ont vécu les tempe du Panama, du boulangisme et de « l’affaire » retrouveront, en lisant ce livre d’une écriture souple, cursive, facile, l’écho des passions amorties, périmées ou moribondes ; et au plaisir de cette lecture ee mêlera probablement quelque parce’le d’une mélancolie qui n’est point dépourvue de charme.

J. L.-D.
MAQUETTE D’ANDRÉ BOLL


LES BELLES MISES EN
SCÈNE DE LA SAISON

Quand on dit une belle mise en scène on évoque immédiatement les trente-deux cuisses nues des girls descendant en cadence un escalier de music-hall, ou les farandoles dans la salle dont M. Gémier entortilla jadis Shakespeare. Nous n’entendons pas ainsi… pour nous une belle mise en scène consiste à situer dans son atmosphère une œuvre qui méritait ce soin… Ce qui nie toute valeur aux simples prétextes où se complaisent trop d’animateurs contemporains, dits artistes, et à ces indications de personnages… mets de la tripe là, mon petit, de la tripe, dont, se satisfont les prétendus metteurs en scène de ces théâtres boulevardiers, où flotte encore, en forme de nouilles, la fumée des vieilles pipes sentimentales de Porto-Riche et d’Henri Bataille. Nous pouvons donner comme exemple d’une belle mise en scène celle que réalisa Pitoëff au théâtre des Arts pour Les Hommes, de Paul Vialar.

De nos metteurs en scène parisiens, M. Georges Pitoëff est. probablement le plus intellectuel… pour ne pas dire le plus poète. Il se tient avec une sage mesure à égale distance des échafaudages du constructivisme et des excès du décor peint. Il ne cherche jamais à dominer un texte, mais au contraire à le servir dans scs meilleures intentions. Dans toutes ses productions on découvre un discernement, un tact presque féminin… mais peut-on douter de la salutaire influence qu’exerce sur scs conceptions Mme Ludmillia Pitoëlï ?… cette admirable artiste, cette femme émouvante, qu’un heureux destin plaça à ses côtés. On ne pouvait mieux choisir pour mettre en scène Les Hommes, de M. Paul Vialar. Cette œuvre ne tend pas à nous présenter le grand conflit mondial, comme beaucoup voulurent le croire… mais les réactions d’un homme sain, normal, banal, aux prises avec cette catastrophe. Le thème de cette comédie n’est pas la guerre… mais le Français moyen dans la guerre… Il fallait donc au metteur en scène une

  1. Payot éditeur.