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Les dangers de la pêche à la baleine. Gravure américaine de 1840.

UNE NUIT
À L’HÔTEL DE LA BALEINE
[1]
par Herman MELVILLE
(Traduction Théo VARLET)

Au début du XIXe siècle, les Américains étaient devenus les maîtres de la Pêche de la Baleine et surtout du cachalot. Deux petits ports, Nantucket et New Bedford, avaient pris une extension formidable grâce à cette dangereuse industrie. Herman Melville, qui servit plusieurs années sur un navire baleinier, publia vers 1850 un roman intitulé Moby Dick qui peut être considéré comme le sommet de la littérature maritime de tous les pays. Jusqu’ici les éditeurs français avaient hésité à donner une traduction intégrale de Moby Dick à cause de sa longueur et aussi à cause de sa composition, qui est un mélange de romanesque, de détails techniques et de divagations philosophiques, d’une rare qualité d’ailleurs.

Nous sommes heureux de présenter aux lecteurs du « Crapouillot » un chapitre de cet ouvrage étonnant dont la traduction si attendue va paraître en édition de luxe aux Éditions du Bélier. Espérons qu’une édition d’un prix modique permettra bientôt au grand public de connaître ce très beau livre. M. V.


JE bourrai deux ou trois chemises dans mon vieux sac de tapisserie, le fourrai sous mon bras, et partis pour le cap Horn et le Pacifique. Ayant dit adieu à la bonne vieille ville de New-York et à l’île de Manhattan, j’arrivai sans encombre à New-Bedford. C’était en décembre, un samedi soir. Je fus très désappointé d’apprendre que le petit paquebot qui fait le service régulier de Nantucket était déjà parti, et que je n’aurai plus aucun moyen de m’y rendre avant le lundi.

Étant donné que la plupart des jeunes candidats aux épreuves et aux peines de la pêche à la baleine séjournent en ce susdit New-Bedford avant de s’y embraquer, il ne sera pas inutile de mentionner que, pour ma part, je n’avais aucune intention de les imiter. Ma résolution était prise de ne partir que sur un bâtiment de Nantucket, car il y a, dans tout ce qui touche à cette vieille île fameuse, un prestige aventureux qui me plaisait étonnamment. De plus, bien que New-Bedford ait fini par accaparer peu à peu le trafic baleinier, et que, sous ce rapport, il laisse bien loin derrière lui la pauvre vieille Nantucket, celle-ci n’en a pas

  1. Copyright by Éditions du Bélier, Paris.