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La Société centrale de l’Hérault, inaugurant en présence de ce fléau cette lutte intelligente et active qui la maintient encore aujourd’hui en tête de la viticulture américaine devenue française, délégua M. Gaston Bazille, M. Planchon et M. Sahut (encore aujourd’hui tous les trois sur la brèche), pour étudier le mal mystérieux qui, sans causes apparentes, décimait certains vignobles de la Crau et de Vaucluse.

M. Sahut croyait à un rhizoctone enveloppant les racines comme la cuscute enveloppe celles de la luzerne. C’est dans cette idée qu’il cherchait un cryptogame plutôt qu’un insecte. Pendant des sondages pratiqués au château de Lagoy, les ouvriers arrachaient des racines au centre d’un point malade formant, comme d’habitude, tache d’huile au milieu d’un clos de 8 hectares. M. Sahut, en promenant sa loupe le long des racines arrachées, aperçut sur l’écorce quelques points jaunes ; il passa loupe et racine à M. Planchon qui crut d’abord à un coccidien ; mais plus tard, s’étant assuré de la mobilité de ces points jaunes, il les rangea au clan des pucerons. Notons cependant cette première appréciation due au coup d’œil infaillible, quoique rapide du savant ; il avait déjà entrevu que le phylloxéra n’était pas un véritable aphidien, certains caractères le rapprochant sensiblement du coccidien.

Un second mouvement le ramena à la théorie de l’aphidien, écartée d’abord, et il donna à l’ennemi qui devait jouer un si terrible rôle, le nom de Rhizaphis vastatriz. Un peu plus tard le Dr Signoret reconnut l’analogie pouvant relier l’insecte nouveau avec le phylloxéra du chêne. Cette analogie fut peut-être un peu vite acceptée, car, en somme, ce phylloxéra est essentiellement follicole, puisqu’il vit sur le dessous des feuilles, tandis que le phylloxéra français de la vigne est essentiellement radicicole ; je dis français, car en Amérique la forme gallicole, rare chez nous, est très fréquente ; mais, en entomologie, il faut, paraît-il, accorder une large marge aux changements de formes produits par des variations dans la nutrition, changements qu’on ne retrouve pas chez les animaux d’un ordre supérieur. Tous les chardons du monde ne pourront faire un âne d’un lion ! Le Rhizaphis devint donc le Phylloxéra vastatrix, et c’est sous ce nom que depuis vingt ans cet infiniment petit tient en échec les corps savants de toute l’Europe dont l’audace entreprend une lutte aussi inégale que celle de l’homme contre un infiniment petit, même avec 300 000 francs au bout de la victoire.

À la suite de cette première conquête, les trois chercheurs heureux visitèrent quantité de vignobles attaqués, pour confirmer leur découverte et, avant tout, faire la contre-épreuve de leurs