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même comme un grand gendarme en uniforme. Il n’aimait pas d’ailleurs cette importation du lunch de quatre heures : volontiers il eût répondu, comme cette grand’mère à qui sa petite fille offrait du thé :

— Mais, mon enfant, je n’ai pas trop dîné.

Il trouvait aussi que cette façon, pour la maîtresse de maison, de trôner dans le fond d’un salon, avec les repus, pendant que sa fille fait les honneurs du festin, enlevait quelque chose à la dignité des uns et des autres. Quant à la surveillance absente et à la liberté régnante, il l’eût peut-être goûtée quarante ans plus tôt, et, comme il n’était point collet monté et n’avait ni fille ni petite-fille à garder, il m’eut garde de s’en choquer.

Sans s’arrêter aux douceurs des gâteaux, il salua, prenant instinctivement son meilleur air, précédant les deux autres de Cisay, et se rendit droit à Mme Fulston.

Il y eut un mouvement à leur entrée. On se retourna. On regarda. Mlle Fulston parut satisfaite et resta un moment sans rien dire à ses voisins. La maîtresse de céans rougit légèrement et se recueillit, préparant ses armes.

— Vraiment ! ma chère, dit une dame à sa voisine, tous les trois à la fois ! ce n’est pas pour rire.

— Cela devait arriver, répondit l’autre philosophiquement. Elle est si riche.

— C’est vrai. Mais le jeune vicomte peut viser haut. Il est si bien.

— Trop bien !

— Non, non. Ce n’est point un fat. Il est très simple au contraire.

— Comme vous êtes charitable aujourd’hui ! Moi, je ne puis souffrir les beaux hommes, par principe.

— C’est aller loin !

Beaucoup de jeunes filles ne pensaient pas de même, car MM. de Cisay étaient devenus le point de mire de leurs regards. Sitôt qu’ils eurent salué Mme Fulston, ils se dispersèrent dans différents endroits du salon, le marquis restant aux environs de la cheminée, retenu d’ailleurs par les phrases que lui adressait la maîtresse de maison ; le comte allant de droite et de gauche s’incliner ; et Bernard revenant vers le lunch sur l’invitation d’un jeune officier qu’on lui avait dépêché.

Mlle Fulston le vit arriver avec un sourire et lui tendit la main avec une vanité assez transparente. Bernard était certainement le parti de ses rêves. La fortune de la famille de Cisay était aussi connue que sa noblesse. Bernard avait de plus une véritable valeur personnelle et cette grâce, ce fini français, que les étrangers admirent toujours. Il y avait en lui ce qu’il fallait pour flatter la femme