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Le comte n’en était pas moins satisfait. Ne regardant pas de près aux sentiments, il finissait par trouver la docilité de Bernard de très bon aloi. Jamais l’éducation de son fils ne lui avait paru plus réussie.

— Il se rend, c’est clair. La raison a prise sur lui. Il n’a pas encore vaincu toute tristesse, mais il n’a pas même l’idée d’une résistance. Le moment est venu d’aller plus loin.

Un lundi donc, par une belle après-midi de janvier, sur les quatre heures du soir, les trois de Cisay montèrent en voiture pour aller rendre visite à Mlle Fulston.

Chose étrange, le marquis était hargneux. Au moment de partir, il avait dit à Rodolphe :

— Va avec Bernard, moi, je reste.

— Comment, mon père, votre présence est indispensable ! Sans vous, rien ne se fera. Il faut que vous voyiez, que vous jugiez.

— C’est tout jugé.

Nonobstant il avait enjambé le marchepied, mais sans enthousiasme.

Quand ils entrèrent dans le joli hôtel des Champs-Élysées, il y avait déjà beaucoup de monde. C’était le jour où Mlle Fulston restait chez elle. À travers les vitres des fenêtres, on voyait passer des femmes en toilette, on entrevoyait des serrements de main, des bonjours, et des têtes qui se penchaient de droite et de gauche.

— Drôle de manie, grommela le marquis en montant l’allée, que cette foire hebdomadaire !

— C’est la mode.

Dès le premier salon, on apercevait, empressée autour d’une table et entourée de gens qui riaient, la tasse à la main, Mlle Fulston offrant le thé. Des jeunes femmes se faisaient servir des gâteaux par un groupe d’officiers en tenue. De vieilles dames mangeaient avec conviction, en appréciant sérieusement le fournisseur. Des jeunes gens passaient et repassaient, attentifs à ne rien renverser. Des domestiques en livrée transportaient des plateaux et remplissaient la théière, C’était un brouhaha, un caquetage, un va-et-vient des plus libres. Mlle Fulston, habillée d’une robe qui lui serrait la taille, comme une peau de gant, riait beaucoup, et promenait sur son entourage ses regards ternes, toujours en contraste avec elle-même. On lui disait mille choses, les unes folles, les autres flatteuses, la plupart bêtes. On était aux petits soins pour elle, même les femmes. Elle parlait haut, interpellant tout le monde, quelquefois jusqu’à une extrémité du salon, aussi à l’aise que dans sa chambre à coucher. Au premier regard que le marquis jeta sur elle, il se sentit froissé. Il la trouva forte et commune, et sûre d’elle-