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— Probablement.

— Eh bien, Rosa, si nous pressions un peu les choses ?

— Se presser ! ma foi, non. Croyez-vous que j’aurais le cœur à me marier pendant que mon petit Bernard…

Courtois poussa un gros soupir et se remit debout sur ses pantoufle :

— Allons ! il faut savoir attendre.

Rosa fut satisfaite de le voir si soumis, et comme le vieux valet de chambre qui avait glissé jusqu’à la porte allait la refermer sur lui.

— Vos cravates seront prêtes ce soir, lui cria-t-elle. Faudra venir les chercher.

… Le comte de Cisay s’apercevait bien des fluctuations d’esprit de son père. Non seulement il s’en apercevait, mais il s’en effraya connaissant l’impressionnabilité, et l’inconséquence, et les entraînements, et les faiblesses de cœur du marquis.

— S’il tournait à Bernard, ce serait terrible, pensait-il, et tout est à craindre avec ces soubresauts de tendresse qui ne mènent à rien dans la vie. Il est clair qu’il s’attendrit déjà sur Bernard. Pour un peu, il irait lui demander pardon. Cela ne lui coûte pas de virer de bord. Il est ainsi fait. Et les événements l’ont gâté en se mettant toujours de son côté. Il en prend pied pour raisonner de l’avenir comme du passé, c’est-à-dire pour ne pas raisonner et s’abandonner au fil de l’eau, à la dérive, en bâton qui flotte. C’est une chance qu’il ait bien voulu jusqu’à présent me comprendre et m’appuyer, chance qu’il ne faut pas perdre.

Tout en parlant, il se dirigeait vers le jardin, où le marquis, assis sur un banc, remuait du sable du bout de sa canne.

Rodolphe s’assit à l’autre bout du banc :

— Eh bien, père, le temps passe.

— Mon Dieu, oui.

— Voilà l’hiver qui s’avance. Il faudrait pourtant songer à faire pour Bernard quelque chose de sérieux.

Le marquis regarda son fils, visiblement effrayé :

— Ah ! qu’as-tu inventé de nouveau ? Ne vois-tu pas que le pauvre enfant est déjà triste comme la mort ?

— Justement. Il ne faut pas le laisser en pareil état. C’est mauvais. C’est mauvais pour lui, et cela ne vaut rien pour nous.

— En tout cas, dit le marquis, son chagrin me désole, je ne te le cache pas.

— Eh bien, mon père, il faut agir, il faut le sortir de là, il faut au moins essayer de le distraire. Il s’absorbe trop dans ses œuvres et dans ses travaux.