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vite, et, pour l’amour de Dieu, ne sois pas triste, mon petit Bernard.

Bernard se leva. Il tendit son bras sur lequel son grand-père s’appuya. Il était plein de courage, et essaya même de lui sourire. Mais c’était désormais un rayon voilé de pluie.

VIII

Ils étaient rentrés à Paris. L’hôtel avait repris son train. Le mois de décembre venait de finir avec ses jours sombres, ses jours courts. Ils étaient rentrés dans l’activité apparente de la grande ville.

Le comte était de plus en plus préoccupé de Bernard. Il avait conscience de la difficulté extrême d’amener son fils à faire un mariage d’argent. Non seulement le caractère du jeune homme ne s’y prêtait pas, mais son fâcheux amour pour Jeanne d’Oyrelles était un obstacle grave.

Pourtant l’attitude de Bernard était aussi correcte que possible, et pour le comte, qui tenait aux apparences, il y aurait eu lieu d’être satisfait. Ni à son père ni à son grand-père, Bernard n’avait reparlé d’avenir. Il en évitait jusqu’aux allusions. La vie de tous les jours, les petits incidents du monde, et, quand il le pouvait, quelque idée élevée et générale, alimentaient sa conversation pendant les repas, seul moment où ils se rencontrassent régulièrement tous les trois. Cette réserve même inquiétait le comte Rodolphe. Elle laissait pressentir plus d’énergie qu’il ne l’avait d’abord supposé. Seulement comme il se sentait de son côté une volonté de fer, comme il était convaincu que son plan était le seul bon, il était bien résolu à ne pas céder d’un pouce.

— J’en viendrai à bout. Avec de la persistance, on arrive toujours à ce qu’on veut. Bernard oubliera Jeanne d’Oyrelles ; il épousera une héritière, et la fortune de notre maison sera rétablie ; c’est ce qu’il nous faut. À moi de tenir ferme !

Quand ils se trouvaient réunis, il y avait maintenant entre eux un malaise que chacun tâchait vainement de dissimuler. Le marquis plaisantait beaucoup, cherchant à enlever son monde. Le comte lui-même causait plus que d’habitude. On entendait ses phrases courtes, martelées, incisives, parfois terminées par un rire bref. L’un et l’autre levaient fréquemment les yeux sur le jeune homme et l’observaient à la dérobée. Quant à Bernard, il avait vieilli, si tant est qu’on puisse vieillir à vingt-deux ans. Ses traits s’étaient un peu creusés, un peu accentués. Son regard était plus terne.