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suivit des yeux, le vit aller vers la forêt et se mit à frapper du pied contre le parquet :

— Ah ! vertubleu ! qu’est-ce qu’on lui a fait à ce pauvre enfant ?

Il se retourna prestement. Courtois était derrière lui, présentant un objet, pressentant un désir :

— Monsieur le marquis veut sans doute son chapeau !

— Certainement que je le veux !. Ah ! nous verrons bien ! Mon pauvre Bernard !… mon enfant !

Il disait cela en descendant, aussi vite qu’il le pouvait, et en prenant dans le parc la même direction que Bernard. Mais celui-ci avait beaucoup d’avance, et sa jeunesse, encore excitée par le chagrin, lui permettait de courir comme un cerf blessé qui a échappé aux chiens et s’enfonce sous bois. Hélas ! il n’échappait que matériellement aux embarras qui l’avaient traqué. C’était un répit, ce n’était pas un sauvetage. Sans doute il pouvait penser à Jeanne, il pouvait sentir mieux que jamais combien elle lui était chère et avec quelle force il tenait à elle. Mais il savait maintenant que ses espérances ne se réaliseraient pas, et plus le rêve était beau, plus le renoncement était dur.

Quand il fut en forêt, près d’une grosse roche qu’il connaissait, il se laissa tomber à terre et s’étendit tout de son long, accablé et étonné par une souffrance intime qui lui était si nouvelle. Jusque-là, ceux qui l’entouraient lui avaient épargné la moindre sensation de douleur ; on avait écarté de sa vie les contacts pénibles aussi soigneusement, plus soigneusement peut-être que ceux du mal ; deux affections différentes, mais profondes, sans cesse en éveil autour de lui, montaient la garde contre le chagrin. Chose bizarre ! c’était d’une de ces deux affections qu’il recevait le premier choc.

L’endroit était sauvage. La roche, demi-nue, s’élevait à pic d’un côté, et s’étendait de l’autre en pente douce, couverte de fougères et de géraniums bec-de-grues. Un filet d’eau formant une mare s’en échappait. L’eau est rare dans la forêt de Fontainebleau ; mais là, comme ailleurs, quand elle s’épanche de la terre, elle féconde, elle embellit, elle double la vie. Des ronces énormes, des lianes, des épines, formaient comme un rempart autour de la roche, rempart couronné par les frondaisons des chênes, et que franchissaient seulement ceux qui connaissaient le passage et le sentier, Étant enfant, Bernard y venait souvent. Il prétendait que c’était une découverte à lui ; il en était fier, il en jouissait comme d’une conquête et n’avait consenti à en révéler l’existence qu’à ses deux fidèles compagnons, Rosa d’abord, le marquis ensuite.

Plus grand, il y venait seul et y rêvait de longues heures. Il apportait un livre, il regardait autour de lui. Il étudiait les sous--