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MESSIEURS DE CISAY


VII


Au moment même où Bernard sortait de chez son père, la porte de l’appartement du marquis s’entr’ouvrit. Bernard l’entendit. En toute autre occasion, il se fût retourné pour courir au-devant de son grand-père ; mais il souffrait trop pour désirer autre chose qu’une solitude complète, une solitude dans laquelle il pourrait penser à son aise, et pleurer le pauvre rêve de sa jeunesse. Aussi il descendit les marches à toutes jambes, traversa le vestibule et sortit à la hâte, se dirigeant du côté de la forêt. Il ne se retourna pas vers le château ; il ne vit pas le marquis s’approcher d’une fenêtre et le suivre des yeux, étonné et inquiet.

Le marquis, après le départ de Durandal, avait un peu dormi, ce qui lui arrivait parfois dans les grands jours. Puis il était monté faire sa toilette, et en passant devant le cabinet du comte Rodolphe, il avait reconnu les voix de son fils et de son petit-fils qui causaient sur un ton animé. Cette seule animation l’avait mis en éveil. Il fallait peu de chose pour aiguiser sa finesse, quand il s’agissait de ceux qu’il aimait. Ses aperceptions étaient merveilleuses. Il devinait sur un mot, sur un signe, convaincu d’ailleurs que toute l’intelligence humaine réside là, comme Rodolphe était convaincu qu’elle réside dans la logique. M. de Cisay entra chez lui songeur, et en s’habillant, il laissait son esprit trotter de droite et de gauche, sur Rodolphe, sur Bernard. Contre son usage, il ne fredonnait pas. L’oreille, qu’il avait conservée excellente, était tendue. Il guettait et il se pressait, instinctivement, pour être prêt à tout hasard.

Ce fut ce bon hasard, si serviable pour les gens adroits, qui lui fit ouvrir la porte de sa chambre à l’instant précis où Bernard sortait de chez le comte, Le marquis n’eut besoin que d’un seul jet de prunelle pour voir que Bernard était bouleversé, et la façon dont le jeune homme s’enfuyait lui en apprit davantage encore. Il le